Paris-Annecy-Lyon : la semaine derniĂšre, jâai beaucoup voyagĂ©.Â
Et partout, jâai parlĂ© du triangle dramatique.Â
Ce triangle, issu de lâanalyse transitionnelle dâEric Berne, et formalisĂ© par Stephen Karpman, rĂ©partit les joueurs en 3 grands rĂŽles.Â
Et oui, nous sommes tous des joueurs, car la rĂ©alitĂ© qui se dĂ©roule sous nos yeux est un théùtre de reprĂ©sentations.Â
Petit rappel concernant les 3 rĂŽles titres !
RÎle de la victime : Plaintive, malheureuse et passive. La victime se prétend innocente et impuissante.
RĂŽle du bourreau : SĂ©vĂšre, critique et puissant. Il fait peur, on hĂ©site Ă le contrarier. Le bourreau impose sa vision et utilise la contrainte.Â
RĂŽle du sauveur : bourreauâŠde travail, dĂ©fenseur des opprimĂ©s et des causes perdues. Il se dit fort, Ă©quilibrĂ© et altruiste. Il protĂšge jusquâĂ infantiliser, propose des solutions inappropriĂ©es. Il crĂ©e des dettes morales pour retenir les gens.Â
Ces rĂŽles ne sont pas fixes. Ils circulent entre les joueurs comme un ballon brĂ»lant.Â
Vous tentez de sauver quelquâun qui nâa aucune envie de se prendre en main. Vous insistez.Â
Il vous accuse de le harceler. La direction, ou les RH, ou un syndicat, accourent en sauveur.Â
Vous vous retrouvez victime dâune direction qui se met Ă âŠ
⊠vous harceler ou qui vous dĂ©nonce pour harcĂšlement.Â
Cette boucle infernale est digne du supplice de Sisyphe.Â
âNe plus rien faire est parfois la solutionâ Sisyphe.
Ce qui mâa sautĂ© aux yeux la semaine passĂ©e, câest que ces rĂŽles sont jouĂ©s non seulement par des individus, mais Ă©galement par des groupes et des catĂ©gories bien identifiables dans nos sociĂ©tĂ©s.Â
En entreprise, le modĂšle qui tend naturellement Ă sâinstaller est le suivant :
La direction = le bourreauÂ
Les salariés = les victimes
Les managers = les sauveurs
Or, tant quâon ne sort pas de ce schĂ©ma relationnel, tout est dysfonctionnel.Â
Mais pourquoi ce modĂšle est-il Ă ce point ancrĂ© dans notre pensĂ©e quâil semble presque impossible dây Ă©chapper ?Â
Câest parti pour notre petite revue historique habituelle. đ
Le triangle dramatique en héritage.
Lâancienne narration.
Les dieux anciens ne cessaient de se quereller.
En eux se disputaient les émotions des hommes.
Entre eux se jouaient les drames de lâhumanitĂ©.
Leurs perpĂ©tuels conflits offraient un miroir aux nĂŽtres et nous permettaient dâaccepter le dilemme de lâhumanitĂ© :
âš Ce besoin vital dâĂȘtre ensemble.
âš Ce dĂ©sir puissant dâĂtre soi, unique entre tous les autres. Â
La nouvelle narration.
Le monothéisme propose un changement radical de récit.
Il polarise les rĂŽles et canalise ainsi les Ă©nergies.Â
đ« Un diable et ses dĂ©mons pour nous persĂ©cuter.
đ« Un dieu pour nous sauver.
đ« Des croyants, victimes impuissantes, dĂ©livrĂ©es de leurs pĂ©chĂ©s et de leur culpabilitĂ© par la grĂące de lâespĂ©rance.
LâimmaturitĂ© civilisationnelle.Â
Cette cristallisation des rĂŽles trouve son prolongement naturel dans lâorganisation de nos sociĂ©tĂ©s.Â
LâavĂšnement de la version terrestre de la citĂ© de Dieu consacre une division de la sociĂ©tĂ© en 3 ordres.Â
Ce sont ceux de lâancien rĂ©gime :
Le ClergĂ© dont la mission est de sauver les Ăąmes = le sauveur.Â
Lâaristocratie dont le rĂŽle est de faire la guerre et de maintenir lâordre = le bourreau.
Le tiers Ă©tat, impuissant, incapable de se prendre en charge, plaintif, mais innocent, pourvu quâil accepte docilement le joug et se confesse rĂ©guliĂšrement = la victime.Â
Le triangle dramatique devient le cadre privilégié du contrÎle social.
âIl faut espĂ©rer qâeu Jeu la finira ben totâ - Le tiers Ă©tat sous le poids du clergĂ© et de lâaristocratie
Le paternalisme industriel.Â
Au XIXá” siĂšcle, lâindustrialisation se dĂ©ploie sur la base de ce modĂšle profondĂ©ment ancrĂ© dans nos mentalitĂ©s, au point que mĂȘme la RĂ©volution nâest pas parvenue Ă le modifier.Â
TrĂšs logiquement se met en place le paternalisme industriel.Â
đ Le patron qui agite le bĂąton et distribue les sanctions, joue le rĂŽle du bourreau.Â
đ Le patron est aussi souvent profondĂ©ment croyant et prend progressivement en charge une partie du rĂŽle du sauveur.
Les allocations familiales sont créées par Ămile Romanet, membre du cercle catholique Saint Bruno, Ă partir des idĂ©es tirĂ©es de Rerum Novarum - la premiĂšre encyclique sociale du Pape LĂ©on XIII sur la condition des ouvriers.
Les jardins ouvriers sont pensĂ©s par lâabbĂ© LĂ©mire afin dâĂ©loigner les ouvriers du cafĂ©, c'est-Ă -dire de lâalcool et du communisme.Â
đ La masse laborieuse est toujours cantonnĂ©e Ă son rĂŽle de victime. Elle devient mĂȘme la classe dangereuse, celle quâil ne faut surtout pas Ă©duquer. Elle risquerait dâenvisager de se sauver par elle-mĂȘme.Â
La transition de la sociĂ©tĂ© dâordre Ă la sociĂ©tĂ© de classe, fait de la classe moyenne, la bourgeoisie, la classe qui sauve, celle par laquelle lâĂ©lĂ©vation sociale peut arriver.Â
Je vous invite Ă lire ou relire mon billet sur lâascenseur social et la fin des vocations. Â
La fin dâune valeur salvatrice du travail ?
Ă lâheure actuelle, peut-on encore considĂ©rer que le travail est porteur de sa valeur salvatrice ?
La crise du sens au travail est rĂ©vĂ©latrice dâun changement de paradigme.Â
Plus personne nâaccepte que le travail soit pĂ©nible, dangereux ou simplement ennuyeux.Â
Le travail est devenu un vĂ©hicule dâaccomplissement de soi.Â
Il doit assurer :Â
Le développement des compétences et la révélation des talents.
LâĂ©panouissement Ă©motionnel et relationnel.Â
Un enrichissement suffisant pour garantir la liberté financiÚre individuelle.
Cette notion de libertĂ© est au cĆur du remaniement de la valeur travail.Â
Le travail ne sauve plus, il libĂšre.Â
Il ne permet plus uniquement de prĂ©server sa place dans la collectivitĂ©, mais surtout de faire valoir son unicitĂ©.Â
Ces nouvelles revendications, ce niveau de prise de conscience supĂ©rieur rend dâautant plus insoutenable le fonctionnement ancien.
La narration du passé calquée sur le triangle dramatique est systématiquement dénoncée.
Inventer une nouvelle narration.Â
De nouveaux scénarios en entreprise
Nous assistons collectivement Ă un besoin profond de re-narration.Â
Nous devons inventer ensemble de nouveaux rĂ©cits qui permettent de nourrir les besoins et les aspirations au travail.Â
Il est urgent Ă©galement de construire de nouveaux modĂšles de structuration dâentreprise garantissant : `
âš Une nouvelle circulation du pouvoir.Â
âš Une meilleure rĂ©partition des responsabilitĂ©s.Â
âš Un espace ouvert Ă lâexpĂ©rimentation et la crĂ©ativitĂ©.Â
De nouveaux rÎles à créer
Câest toute lâimage du leadership qui est Ă rĂ©inventer.
Ni bourreau, ni sauveur, le leader est lĂ pour inspirer, aiguiller, soutenir les tentatives individuelles.
Incarner ce nouveau rĂŽle suppose de se dessaisir :
Dâune certaine forme de pouvoir et donc de contrĂŽle.
Dâune partie de ses responsabilitĂ©s.
Dâun rĂŽle modĂšle et dâun idĂ©al de perfection.
Plus jamais victime, le salarié doit assumer :
Sa part de responsabilité et sa capacité à dire non.
Son engagement volontaire et sa volonté à coopérer.
Une affirmation de soi assertive et positive.
Tous ces rÎles supposent une grande maturité professionnelle.
Jâai ainsi lâespoir que les mutations actuelles nous portent vers une plus grande maturitĂ© collective dans nos vies et nos interactions professionnelles.
Belle analyse de ce satané triangle qui nous appelle parfois .
Comment y résister, quand on est empathique?
Jâai pris une dĂ©cision par rapport Ă cela, câest laisser lâautre dans la responsabilitĂ© de son existence.
Ce nâest pas se dĂ©sintĂ©resser de lâautre, mais une forme de domptage de son cerveau.
Se défaire des habitudes que nous imprime la société.
Je trouve trĂšs intĂ©ressant le fait dâavoir positionner les 3 rĂŽles dans chaque partie de lâhistoire liĂ©e au travail.đĄđđŸđđŸđđŸ
A bientĂŽt pour une nouvelle dĂ©couverte đđŸ